Tout augurait très bien pour cette 2e édition de l’Ironman de Mont-Tremblant. Mes dernières semaines d’entraînement avaient été particulièrement studieuses et prolifiques, et je me sentais en très grande forme. Bien mieux que lors de l’édition antérieure où j’étais arrivé sur la course avec seulement deux semaines de préparation spécifiques et deux semaines de taper mais où j’avais malgré cela facilement terminé 6e de l’épreuve avec un temps de 9h06.
Dans ma tête les objectifs étaient clairs :
1) gagner mon groupe d’âge et assurer ma qualification pour Kona
2) gagner chez les amateurs toutes catégories confondues
3) faire un sub 9h
4) courir le marathon en bas de 3h
5) faire un top 12 overall
Mise à part une grande fatigue perçue le jeudi soir suite à une très grosse semaine de coaching (camps sport + club), rien ne laissait augurer de ce qui arriva :
Natation :
Cette année, plusieurs départs étaient donnés selon les catégories d’âge des athlètes. Par chance, nous étions la 1ère vague, et donc je n’avais pas à slalomer pour me frayer un chemin comme c’était le cas au championnat du monde de 70.3 l’an passé. Ce qui était moins à mon avantage, c’est que contrairement aux athlètes qui me précédaient, je ne pouvais pas connaître les écarts pour jouer la victoire chez les amateurs toutes catégories. Après un départ sans même prendre un seul coup (je commence à m’ennuyer des départs de masse de Kona), je me suis placé dans un petit groupe que j’ai gardé pendant les 2000 premiers mètres, alors que progressivement un fatigue latente s’installait. À 2500m, c’était la panne sèche. J’ai laissé graduellement partir les pieds et je suis passé en mode survie pour rejoindre la plage, essayant de m’intercaler tant bien que mal dans les pieds des athlètes me dépassant. 1h01. Exactement le même temps qu’à l’entraînement, une semaine auparavant. Je m’attendais à nager 3-4 minutes plus vite. La journée commençait bien… et descendre sous les 9h s’annonçait déjà très difficile à aller chercher.
Cyclisme :
Arrivé sur le vélo, je me rassure un peu, j’ai de très bonnes jambes. Comme à mon habitude, je prends 10km pour m’échauffer, me faisant doubler par de nombreux concurrents. Je ne suis pas inquiet, d’ailleurs après 10k, je commence à les rattraper un par un. Après 1h de vélo, il ne reste plus grand monde devant. Mon compteur m’indique que j’ai parcouru 37km à 274w de moyenne pour 150 pulsations/min. Grâce à Polar Canada, c’est une première pour moi d’utiliser un capteur de puissance en compétition. Les chiffres indiqués confirment les sensations : pas de doute, j’ai des bonnes jambes!
IIl y a de moins en moins de monde devant, et je ne vois plus personne derrière. J’arrive alors dans ma section préférée : le Chemin Duplessis ! Cette section est très technique, et demande une très bonne gestion de l’effort sous peine d’y laisser quelques plumes. D’ailleurs, pour je ne sais quelle mystérieuse raison, je commence à avoir des crampes lorsque je me mets debout sur les pédales… qu’à cela ne tienne, je reste assis. De toute façon, avec 2h25 sur le 1er tour, je suis dans mes temps et je reste dans la course pour un sub 9h. Je me sens très à l’aise, mais ce petit signe avant-coureur m’incite quand même à lever le pied un petit peu.
Je fais bien, parce que la fatigue que j’avais ressentie en natation commence à se faire sentir de nouveau. Un vent latéral rend la progression un petit peu plus difficile qu’à l’aller et je me surprends plusieurs fois à emmener un trop gros braquet (<90rpm). Habituellement sur Ironman, ma fréquence moyenne est entre 95 et 100 rpm. Un autre signe qui m’indique que finalement je ne suis peut-être pas dans un si bon jour à vélo. D’autant plus qu’à chaque demi tour, je vois des participants qui maintiennent leur écart sur moi. Il y a même un grand gars habillé en blanc qui me jette des éclairs avec ses yeux quand je le croise, et qui semble se rapprocher dangereusement. Est-il dans mon groupe d’âge? Néanmoins je continue ma progression et reste très confiant car je suis particulièrement fort en course à pied ces temps-ci.
À l’issue d’un 2e tour complété à nouveau en 2h25 (bizarre, j’ai poussé moins fort, et il y avait davantage de vent), je pose le vélo en 4h51, Pour les amateurs de statistiques, ça donne 272w de moyenne (3,36w/kg), pour une fréquence cardiaque de 146bpm, une cadence de 87rpm et 37km/h de moyenne. Mais pour moi, l’important c’est que j’ai une avance que j’estime être de 1’30 sur le gars en blanc, que j’ai les jambes en bon état, mais que je me sens étrangement fatigué. J’ai pas envie de dormir… mais presque.
Course à pied :
Premier constat : ça va bien ! Ça va même très bien. Le sub 9h me paraît très accessible. Je sais ce qu’il me reste à faire et je passe au 14e km en un peu moins d’une heure. Pile poil dans l’allure. Je chronomètre mes concurrents à plus de 7 minutes (en fait, j’apprendrai plus tard que le gars en blanc a fait 4,5km de plus en vélo suite à de mauvaises indications). Je reconnais alors Scott Cooper et je me réjouis de le voir être aux avant-postes. Je poursuis ma progression jusqu’au 18e, où là la chaleur commence à me rattraper un peu, et surtout une grande lassitude. Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi je fais ça ? Qu’est-ce que ça m’apporte ? Heureusement, la foule est là pour me soutenir, et je maintiens l’allure et garde le sourire. Je passe au demi-marathon en 1h32… Chuck m’indique alors que mes concurrents reviennent sur moi et ne sont plus qu’à 3-4 minutes. Aïe ! Là je comprends que le Sub 9 ne sera pas pour aujourd’hui, et que la journée est loin, très loin d’être finie.
JE PASSE EN MODE SURVIE :
1) Dans un premier temps, je ralentis l’allure. Je ne veux pas prendre le risque de sauter complètement et de manquer ma qualification. 2) Je garde quand même un bon rythme pour ne pas donner trop d’espoir à mes adversaires. 3) Double ration de Coca-cola : à la guerre comme à la guerre !
Finalement, après 3-4 km de misère, je me refais une santé, calé dans la foulé de Liz Blatchford, et en courant à l’ombre du sentier du Petit train du Nord. Ça va mieux jusqu’au 28e km. Et là les crampes apparaissent… terribles! D’abord les ischios jambiers, puis les adducteurs. Je poursuis mon chemin clopin-clopant, un sourire forcé lorsque je croise mes concurrents qui abordent le même rictus. 3min d’écart. À voir leur dossard, il semble que le « grand blanc » soit dans mon groupe d’âge. L’autre est Scott Cooper, également mon groupe d’âge… Je me maudis de m’être réjoui trop vite pour lui, car voilà qu’il me fait la vie dure ! C’est la guerre ! Je dois m’arrêter régulièrement pour m’étirer. Évidemment, j’ai épuisé toute ma réserve d’électrolytes, alors je me mets désespérément en quête, questionnant chaque participant que je double pour au final trouver un bon samaritain qui me donnera 4 pilules que j’avale aussitôt d’un trait.
Malgré mes déboires, l’écart est stabilisé et j’ai encore 2-3 minutes à la sortie du bois, au 38e km. il semble que les crampes se font moins fréquentes. Entre deux crampes, je commence même à retrouver espoir de gagner. D’ailleurs, j’ai rattrapé Liz Blatchford qui est aux prises avec Rebekah Keat et Anja Beranek pour la 2e place féminine. Là, ça rigole pas. Je les regarde s’attaquer dans la descente et estime plus prudent de les laisser partir avant de me retrouver paralysé par je ne sais quelle crampe. Je ne cesse de me retourner. Ne voyant personne derrière moi dans les 2 derniers km, je prends carrément mon temps pour rallier la ligne d’arrivée, exténué.
Erreur ! J’apprendrai plus tard que « le grand gars en blanc » n’étais pas dans mon groupe d’âge, ni même dans ma vague de départ, et qu’il vient de me chiper la victoire chez les amateurs pour une trentaine de secondes. Maigre consolation, une petite recherche sur internet m’apprend que Sam Gyde (c’est son nom) a terminé 31e à Kona l’an passé, et a remporté plusieurs titres de champion du monde Ironman dans la catégorie 30-34 ans. Au moins, j’aurai remporté mon groupe d’âge et terminé 18e de ce championnat Nord-Américain.
Une fois la ligne franchie (9h12), je m’écroule dans les bras de Christian Triquet, le président de Merrell et un de mes principaux commanditaires. Les journalistes veulent me parler. J’essaie de leur répondre, mais les mots ne sortent pas. Je n’ai plus la force de parler, ma gorge spasme, tout est flou et je m’écroule.
Valérie, ma conjointe, qui était bénévole sur l’équipe médicale, vient me rejoindre et m’allonge sur une table de repos. La suite est moins drôle… Epuisé, je me laisse conduire jusqu’à « l’infirmerie » et resterai au moins 2h là-bas, le temps de me réhydrater et surtout de retrouver quelques forces.
JJ’ai un petit goût de défaite dans la bouche. Cela faisait longtemps que je n’avais pas manqué les objectifs que je m’étais fixés. Néanmoins je reste très satisfait de mon attitude. J’ai su être à l’écoute de mon corps et ralentir lorsqu’il le fallait pour éviter la catastrophe. J’ai su rester positif jusqu’au bout malgré la difficulté. Et surtout, je suis allé au bout de mes forces !
Et puis j’ai mon ticket en poche pour Kona…..
Je tiens à remercier mes proches et mes commanditaires (MERRELL, LOUIS GARNEAU, POLAR, IMMUNOTEC, KRONOBAR) pour leur soutien dans ma quête de la performance. MERCI!
Merci aux photographes Frédéric Forgues, Jean-Christophe Lagassé et à Triathlon Québec pour leurs superbes photos!
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