David est un rameur de 22 ans ayant une déficience visuelle et qui a participé aux Jeux de Londres en aviron. Son rêve est de participer aux jeux paralympiques de Rio dans 2 disciplines : l’aviron et le triathlon.
David a donc commencé à s’entraîner en triathlon cet hiver et à réalisé son premier triathlon au PATCO de Dallas où il a démontré en compagnie du guide Adam Jones qu’il avait un gros potentiel.
Afin de marquer des points et d’être certain de pouvoir participer au processus de sélection pour les JO, il était très important pour David de prendre part à la coupe du monde de Chicago. Adam n’étant pas disponible, mon collègue entraîneur Michel Élibani (Ottawa), lequel s’occupe actuellement du développement des nouveaux paratriathlètes, m’a contacté afin de me proposer d’accompagner David sur cette coupe du monde.
Tout de suite l’aventure m’a inspiré! Étant à la base un athlète de sport collectif, je trouvais l’idée de faire un triathlon en équipe intéressante. De plus, ma fibre d’entraîneur m’a fortement encouragé à accompagner cet athlète débutant en triathlon. Pour moi, c’était aussi une belle opportunité d’en apprendre d’avantage sur le paratriathlon.
D’autre part, la perspective de m’entraîner pour performer sur un format courte distance va m’aider à gagner de la vitesse sur 70.3, ce qui est un de mes objectifs pour les années à venir. Et puis qui sait, si j’aime ça, ce serait cool d’aller à Rio !)
Bref, me voilà embarqué dans le bateau (en l’occurrence un tandem) et il est convenu que David doit me rejoindre à Québec le lendemain du 70.3 de Mont-Tremblant et que nous passerons ensemble la semaine précédant la course afin de nous pratiquer ensemble.
Et là, honnêtement, je n’ai absolument aucune idée de ce à quoi m’attendre! J’essaie de ramasser un maximum de patentes* qui traînent un peu partout dans la maison et je remplis le frigo en me remémorant mes bons souvenir de colocation avec des triathlètes, à l’époque où on arrivait à se claquer plus de 500$ d’épicerie en moins de 2h!
Sur le premier point, je me suis trompé : 1) David est partiellement aveugle et grâce à sa correction et à une excellente mémoire, il est très autonome et 2) David est encore plus bordélique que moi (et oui, c’est possible!)
En revanche sur le second point j’avais vu juste : David mange autant si ce n’est plus que moi : on va bien s’entendre!
Le premier entraînement de natation se déroule très bien. Nous échangeons quelques coups mais rien de bien douloureux. Nous sommes reliés par une corde afin que David ne puisse pas s’éloigner à plus de 1 mètre de moi.
Le premier entraînement de tandem en revanche s’est avéré plus compliqué. Nos deux premières tentatives de nous embarquer sur le tandem se sont concrétisées par des chutes. À la troisième tentative, nous arrivons enfin à prendre notre envol. Les feelings sont totalement différents, et il est important de mettre de côté tous les réflexes inhérents au pilotage d’un vélo de route. La vitesse est vraiment élevée et il n’est pas rare d’atteindre 55km/h sur le plat. En ligne droite, ça va plutôt bien, mais chaque courbe représente tout un défi!
Faute de temps, nous n’avons pas pu pratiquer la course à pied, ce qui nous jouera un tour le jour de la compétition.
Arrivé à Chicago, nous faisons la connaissance des autres athlètes de l’équipe de paratriathlon dans une ambiance très sympathique.
La veille de la course, nous avons droit à 1h pour reconnaître le parcours vélo. Il s’avère alors que le parcours comporte 3 demi-tours par tours de 3km, et que nous avons 7,5 tours à faire!!! Je commence à prendre conscience de l’ampleur de ma job de pilote!

La bête!
Le briefing d’avant course reste un moment mémorable. Il se dégage une formidable énergie de la soixantaine d’athlètes de différents handicaps regroupés dans cette même salle. Affutés, bronzés, les jambes rasées et les veines saillantes… dès le premier coup d’œil, tu sais que ces personnes sont avant tout des athlètes de haut-niveau et qu’ils sont au meilleur de leur forme. Qu’ils soient amputés d’un bras, d’une jambe, l’handicap est immédiatement oublié pour l’étiquette « athlète »!

Avant la course, nous n’avons pas le choix de trouver des compromis pour faire coïncider nos échauffements au profit de l’équipe : par exemple, faute de pouvoir m’échauffer suffisamment à mon goût en cyclisme, je dois allonger l’échauffement de course à pied. Évidemment, tout est méticuleusement minuté.

Moi-même et David
Sur la ligne de départ, je décide de nous placer sur la gauche, dans les pieds des Australiens qui sont d’excellents nageurs. J’espère ainsi qu’un départ rapide facilitera la tâche en limitant le nombre de dépassements. Finalement il semble que nous ne soyons pas les seuls à avoir eu cette idée et tous les binômes partent incroyablement vite. Par peur d’ « asphyxier » David qui est moins bon nageur que moi, je n’ose pas trop pousser et rapidement je me cale dans l’allure pratiquée à l’entraînement (1’25 à 1’30/100m). Après 400m nous commençons à rattraper des équipes parties un peu trop vite et sur la fin du parcours nous nous offrons même le luxe de dépasser l’autre duo canadien pour sortir de l’eau en tout juste 12 minutes.
La sortie de l’eau est toute une épreuve puisque les bénévoles tentent de sortir David à gauche de la rampe alors que je sors sur la droite, et que nous sommes accrochés par une corde. Nous réalisons une bonne transition et sortons de la zone de transition en 3ème position. Tour après tour, nous creusons l’écart sur nos poursuivants et nous nous emparons de la 2ème position suite à une crevaison du tandem australien. Les USA, grands favoris de l’épreuve, ont 2 minutes d’avance et roulent trop fort pour que nous parvenions à les rejoindre. J’apprendrai après la course que le guide américains n’est autre que Ben Collins, le vainqueur du 51.50 de Mont-tremblant, dont la réputation de ses qualités de cycliste n’est plus à faire. Pour aller vite, je dois prendre un maximum de risque à chaque virage afin que le tandem perde le moins de vitesse possible. Ponctué par les « slow down », « gauche » ou « droite », « go » que je hurle à pleins poumons à chaque virage, nous complétons les 20km de vélo en 33 minutes, réalisant ainsi le meilleur temps du jour.
Je pose le vélo avec les jambes complètements sautées et un début de crise d’asthme (pollution?). La transition vélo-course est une nouvelle fois très rapide, et je n’ai pas le temps de reprendre mon souffle que David part comme un boulet de canon, me traînant dans son sillage par la corde qui nous relie. Tellement préoccupé à essayer de le suivre sans m’enfarger dans sa foulée, je m’aperçois trop tard que David s’est trompé de parcours et que nous venons de franchir la ligne d’arrivée. Nous sommes rendus dans les tribunes… Oups! Le temps de faire demi-tour nous repartons sur le bon chemin en même temps que nos poursuivants canadiens et italiens.
Heureusement David est un très bon coureur et rapidement nous reprenons le large. Je commence à m’habituer à la corde qui nous attache et je contrôle le pace pour atteindre l’objectif fixé (19min). J’encourage David et je lui communique les écarts avec ses concurrents. Les USA sont hors d’atteinte pour cette fois-ci.
Nous finissons fort dans les derniers 500m pour un temps de course de 19:00 malgré l’erreur de parcours.

Post race avec le 2e duo canadien
Cette 2ème place est extrêmement satisfaisante, car pour son 2ème triathlon à vie, David était confronté à des athlètes ayant pour certains plus d’une dizaine d’années d’expérience. Ce gars là a vraiment un potentiel incroyable et je ne donne pas cher de la peau des Américains d’ici 2 ans ;). Pour ma part, je suis particulièrement fier d’avoir pu contribuer au succès de David à Chicago.